La jalousie

Par Francisca, Gabriela, Valentina, Javiera, Montserrat

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En 1957, le romancier et essayiste français Alain Robbe-Grillet (né en 1922 à Brest – mort en 2008 à Caen) publie son roman intitulé La Jalousie, considéré comme emblématique du  nouveau roman, où il présente l’histoire d’un époux jaloux de la relation entre sa femme, nommée A…, et son voisin et ami Franck.

Dans cet extrait, Franck se trouve à la maison du couple, en Afrique, et la complicité entre Franck et A… est évidente aux yeux du lecteur et à ceux du narrateur.

De quelle manière nous est présentée la relation entre A… et Franck ?

Pour ce faire, nous verrons dans un premier temps l’invisibilité du narrateur face au couple et les manières utilisées par lui pour décrire cette situation, puis la complicité existante entre Franck et A…, et finalement, la froideur et le mystère présentés dans cette scène de l’œuvre.


Dans un premier temps, on peut remarquer que le narrateur de cette œuvre, le mari de A…, est un narrateur personnage, mais qui ne parle jamais à la première personne du singulier : l’utilisation des pronoms « il » et « elle » peut être constamment observée. De plus, on peut aussi remarquer que le récit comporte une focalisation externe, où l’unique point de vue qu’on observe est celui du narrateur:« Il se peut d’ailleurs qu’elle ait raison. Dans ce cas, Franck devrait avoir raison aussi. Tous les deux parlent maintenant du roman que A… est en train de lire (…) » (l 4 à 6). Cette dernière citation, fait aussi référence à l’invisibilité du narrateur face aux deux autres personnages présents sur scène. À partir de l’analogie présentée dans ces phrases, on peut constater que A… et Franck sont comparés et présentés comme un seul : Si A… pense quelque chose, Franck pense de même, mais le narrateur n’est pas inclus dans cette histoire des pensées et du livre : il est donc exclu de la conversation.

Même si c’est un narrateur absent et invisible, il est hyper présent tout au long du récit puisque le roman est la transcription de tout ce qu’il voit et observe. C’est grâce à lui qu’on connaît ce qu’il se passe, mais l’unique inconvénient c’est que l’on peut seulement se fonder sur son point de vue, lequel est influencé par la jalousie qu’il ressent envers sa femme et son ami. L’évidence de l’invisibilité du narrateur se trouve à la ligne 12, où il décrit ce qui se passe : « Franck regarde A… qui regarde Franck. ». À ce moment-là, il n’est pas pris en compte, il est oublié et à nouveau, exclu du dîner et de toute affaire qui pourrait se passer. À la ligne 28, il nous dit que A… demande « comme d’habitude, de servir le café sur la terrasse. Là, l’obscurité est totale. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela nous dit que comme la terrasse est obscure, le narrateur devient aveugle, donc il y a un moment où il ne peut plus voir ce qui se passe entre A… et Franck.
Le « comme d’habitude » désigne la monotonie, quelque chose qui se passe toujours : on peut déduire que A… est rusée puisqu’elle sait à quel moment son époux ne va plus la voir et elle décide de prendre le café sur la terrasse tout le temps pour pouvoir vivre son amour avec Franck.

Comme on avait dit, le point de vue qui nous est présenté est celui d’un personnage jaloux, de quelqu’un qui modifie les faits et les voit d’une manière différente à cause de ce qu’il est en train de vivre et observer : l’image qu’on se crée à partir de la narration  du personnage pourrait être complétement fausse. Ensuite, il ne s’interroge jamais sur lui-même, il n’explique pas ce qui se passe, il n’agit pas, il ne parle pas et donc ce qu’on sait c’est seulement à cause des descriptions qu’il réalise : « Le boy fait son entrée pour ôter les assiettes. A… lui demande, comme d’habitude, de servir le café sur la terrasse. Là l’obscurité est totale. » (l. 27 à 29) 

Aussi, on peut remarquer que les descriptions faites par le narrateur personnage sont faites d’une manière très détaillée et obsessionnelle. Il cherche les moindres indices pour découvrir A… et Franck. C’est pour cette raison qu’il nous décrit tout ce qu’il voit : les gestes, les expressions, les visages, les mouvements, l’environnement, etc. On peut relever qu’entre la ligne 17 et la ligne 19 il fait une observation sur les expressions et les gestes de sa femme : « Non, ses traits n’ont pas bougé. Leur immobilité n’est pas si récente : les lèvres sont restées figées depuis ses dernières paroles. Le sourire fugitif ne devait être qu’un reflet de la lampe, ou l’ombre d’un papillon. ». Avec cette remarque, il nous démontre qu’il s’intéresse à chercher des explications à ce que A… fait, et de plus, il essaye de ne pas croire ce qu’il voit en pensant et en imaginant des excuses, comme c’est le cas du sourire de A…

A contrario, il y a des choses auxquelles il ne cherche pas une explication. Par exemple, tout au long du récit, le lecteur ne reçoit aucune réponse ou explication sur ce qui se passe, sur les sentiments, sur les intentions des personnages ou sur les motifs de leurs actions. Le narrateur se contente de nous raconter et d’observer l’interaction entre A… et Franck lors du dîner, en rapportant seulement une fois les paroles en forme directe à la ligne 10 : « C’est mental, surtout, ces choses-là, dit Franck. ». Cette citation fait référence à l’épouse de Franck, nommée Christiane, laquelle a des crises et n’est pas présente dans la scène.

Finalement, pour nous raconter ce qui se passe, le mari de A… utilise différents temps verbaux comme le Présent de l’Indicatif et l’Imparfait. De plus, il complémente son récit avec des Compléments Circonstanciels de Temps et de Lieu, ce qui crée une chronologie tout au long du récit et nous permet de savoir où et à quel moment l’action se déroule. Dans le cas du Présent, il l’utilise avec une valeur narrative et descriptive, mais aussi d’énonciation puisque ce qu’il raconte se passe au moment où il parle: « Tous les deux parlent maintenant » (l.6) ; « Il fait ensuite allusion » (l.11).
Ensuite, on trouve l’Imparfait de description dans plusieurs passages du texte : « Elle venait de ramener la tête dans l’axe de la table et regardait droit devant soi. » (l.21). Avec cette description, le narrateur nous permet de créer nos propres conclusions sur l’attitude de A… : elle pense à quelque chose que, peut-être, seulement elle sait.

 

Dans un deuxième temps, en analysant la relation entre A… et Franck, on peut se rendre compte qu’il existe une certaine complicité entre eux. En premier, ils ne se dirigent pas la parole, ou presque pas : seulement on constate des gestes, des regards ou les mêmes pensées, comme le pense le narrateur lorsqu’il dit à la ligne 4 que si « A… a raison, Franck l’a aussi. ». Pour cette pensée, on peut en tirer deux interprétations. Cela nous permet d’observer que la complicité entre A… et Franck semble plus grande qu’entre A… et son mari.

Ensuite, au cas où il y aurait une relation, ces deux personnages doivent cacher leur amour. Par exemple, aux lignes 11 jusqu’à 14, le narrateur nous dit à propos de Franck : « Il fait ensuite une allusion, peu claire pour celui qui n’a même pas feuilleté le livre, à la conduite du mari. Sa phrase se termine par « savoir la prendre » ou « savoir l’apprendre », sans qu’il soit possible de déterminer avec certitude de qui il s’agit ou de quoi. » Avec cette remarque, le narrateur laisse entrevoir deux choses : la première c’est qu’il est à nouveau ignoré puisque seulement deux personnes qui connaissent le livre : Franck et A… . La deuxième c’est que ce « celui » désigne le narrateur, puisqu’il y a seulement trois personnes à table, et deux sont informées sur le thème. De plus, Franck joue avec les mots lorsqu’il dit « savoir la prendre » ou « savoir l’apprendre » : cela confond le mari et il ne sait pas comment interpréter les paroles de son voisin : d’un côté on pourrait l’interpréter comme une connotation sexuelle qui laisse entrevoir une relation entre A… et Franck lorsqu’il lui adresse cette phrase et seulement elle comprendrait, mais de l’autre côté, cela pourrait s’interpréter simplement  comme un commentaire à propos du livre. À la ligne 15, A… confirme la complicité du message de Franck : « Elle lui adresse un sourire rapide, vite absorbé par la pénombre. Elle a compris, puisqu’elle connaît l’histoire ». Après cette observation du narrateur, on pourrait donc dire que cela affirme la complicité entre A… et Franck.

Finalement, on peut ajouter à nos interprétations, le fait que Franck et A… se trouvent dans un monde seulement à eux : ils se regardent en diverses occasions et ils « parlent » des thèmes que seulement eux comprennent : « Franck regarde A… qui regarde Franck. » (l.15) Cela nous dit qu’ils pensent à une seule chose, laquelle est transmise au travers du regard mystérieux.

 

Dans un dernier temps, lors de l’analyse de la froideur et du mystère présent dans l’extrait, on peut trouver une contradiction parmi la relation entre les personnages.

On sait que c’est une soirée à trois personnes, ce qui nous fait penser à un triangle amoureux et à une situation étrange. Ce n’est pas une soirée normale puisqu’il n’y a pas de conversation, et lorsque les personnages échangent des paroles, il y a un des trois personnages qui est exclu : le narrateur.

Ensuite, A… et le narrateur sont mariés, mais ils ne se dirigent pas la parole : on constate donc la froideur et la tension dans l’atmosphère de cette soirée à trois. On pourrait penser aussi qu’ils ne parlent pas du fait que Franck se trouve là : comme le narrateur pense que Franck est l’amant de sa femme, il préfère observer pour capter tous les détails. Il préfère ne pas parler puisqu’il éprouve de la jalousie et de la haine ou de l’hostilité pour Franck.

Une autre contradiction qu’on peut observer c’est que A… et Franck utilisent principalement des gestes : pourquoi ils ne parlent pas ? Ils sont froids, tout se limite aux gestes, aux regards, au café. On ne peut pas trouver une réponse exacte à cette question puisque, comme on l’a déjà dit, on connaît seulement le point de vue du narrateur. Parmi les choses qu’on sait, on constate que A… se limite seulement à dire quelques paroles, ce qui est observé par le narrateur, et elle ne les dirige pas ni à Franck ni à son époux : elle les dirige au boy lorsqu’elle lui demande de servir le café sur la terrasse : « (…) les lèvres sont restées figées depuis ses dernières paroles. » (l.18) Cela pourrait être interprété de la manière suivante : A… décide de ne pas faire des commentaires puisque elle soupçonne que son mari connaît la situation entre elle et leur voisin. Pour ne pas donner des pistes ou des détails au narrateur, elle garde silence, ne lui dirige pas la parole et se limite aux gestes. L’indifférence et l’acte de faire comme si de rien n’était pourrait être sa stratégie. 

Enfin, on peut parler de violence psychologique chez le narrateur : il souffre constamment puisque, d’après ses pensées, il est en train d’observer sa femme et son amant : il est assis sur la même table qu’eux, il assiste à la scène mais il ne participe pas puisque les autres deux personnages l’ignorent complètement, même A…, la femme avec laquelle il a, soi-disant, une relation amoureuse formelle. Le narrateur souffre, et le lecteur souffre aussi puisqu’il reçoit en forme directes les sentiments du narrateur, même s’ils ne sont pas exprimés explicitement.  De même, on trouve un paradoxe dans la dernière ligne qui pourrait nous indiquer aussi de la violence en forme implicite : « le choc d’une petite tasse en porcelaine que l’on repose sur la table basse. » (l. 31-32). Ce « choc », lequel est quelque chose de violente et forte s’oppose à cette « petite tasse » qui est assez fragile. Comme ils se trouvent déjà sur la terrasse, le narrateur ne voit plus, seulement il écoute quelques sons puisqu’il n’y a pas de conversation non plus : « On n’entend, çà et là, que le cri menu de quelque carnassier nocturne, le vrombissement subit d’un scarabée, le choc d’une petit tasse en porcelaine que l’on repose sur la table basse. » (l.30 à 32).

 

En conclusion, pour répondre à la question posée à l’introduction, on peut dire qu’on nous présente la relation entre A… et Franck comme quelque chose de mystérieux. On ne sait pas vraiment s’il y a un amour entre A… et Franck puisque on connaît seulement le point de vue du narrateur, lequel à cause de la jalousie qu’il sent, raconte les faits en leur donnant une interprétation survalorisée. On ne pourra être jamais sûrs. À partir de la complicité existante entre A… et Franck, laquelle peut être appréciée dans diverses occasions de l’extrait et de l’invisibilité du mari, on peut dire que l’auteur essaye de tromper le lecteur et de lui faire croire qu’il existe vraiment une relation entre les deux personnages mais lorsque le lecteur veut s’assurer, il n’a pas les preuves suffisantes pour le prouver. Ils doivent cacher leur « amour » et c’est pour cette raison qu’ils décident de ne pas parler et de se communiquer au travers des regards, des gestes et des messages codés. Aussi, on pourrait conclure que, peut-être, le narrateur n’agit pas puisqu’il a peur de perdre A… et qu’il est absent puisqu’il sait qu’il existe un amour entre eux, mais ne veut pas l’accepter.